Aller au contenu

Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Savoir faire le marché est le premier des arts domestiques, et celui qui possède ce talent deviendra riche. Ce n’est pas seulement le secret des bons dîners, c’est aussi celui des honnêtes aisances. Peu importe d’être industrieux et actif, si l’on ne sait pas faire le marché. Savez-vous pourquoi X est en train de faire fortune et que O reste pauvre ? C’est que la femme de l’un sait faire le marché et que la femme de l’autre ne le sait pas faire. À force de payer les choses prix double, un meurt sur la paille ; à force de manger du bœuf coriace, on se ruine l’estomac.

Il y a des gens qui, dès le premier jour, savent faire le marché. À peine ont-ils aperçu un veau qu’ils l’ont deviné. Ils prévoient ce que deviendra dans la poêle tel appétissant morceau qu’on leur offre. Ils voient la viande fraîche se transformer en rôti. En les regardant rôder autour des étaux, on sent qu’ils aiment à se mettre à table. L’homme qui connaît les bonnes choses a une certaine façon de les regarder qui le trahit.

La femme a, au marché comme ailleurs, une grande supériorité sur l’homme. Elle sait distinguer mieux que lui les bons morceaux, et si elle ne les achète pas toujours, c’est par économie, et afin de mettre de côté pour acheter des rubans. Elle achète mieux, elle paie moins cher. On ne la trompe pas. C’est presque toujours chose facile que de piller un homme ; mais il est presqu’impossible de voler une femme : elle crie au meurtre.


Les gens qui font le marché peuvent se diviser en plusieurs catégories. Il y a d’abord la fidèle ménagère, exemplaire vivant de la Cuisinière Canadienne, qui est là en majorité. Elle est régulière comme le cadran de chez Lamontagne ; et si elle ne sonne pas les heures, du moins les marque-t-elle aussi exactement. En la voyant passer, vous pouvez vous dire en toute