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Page:Fabre - Chroniques, 1877.djvu/86

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sûreté : « Il est huit heures ; » et régler votre montre sur son pas pressé.

Une fois au marché, elle le parcourt rapidement pour se faire une idée générale de ce qu’il y a ce jour-là. La revue faite, on peut deviner rien qu’à son air s’il y a abondance. Puis, elle se hâte de mettre la main sur ce qu’elle a aperçu de mieux. Elle marchande, dispute, exige, part, revient et finit par avoir ce qu’elle souhaite au prix qu’elle veut.

Il faut la voir lorsqu’on essaie de la tromper, de faire passer du vieux sucre pour du nouveau ou de lui glisser de mauvais légumes : un sourire de dédain plisse sa lèvre et elle écarte de la main le faux produit. Elle est encore plus belle à voir lorsqu’elle rattrape le vendeur de mauvaise foi qui, la veille, a substitué à ce qu’elle avait choisi quelques articles de qualité inférieure. Si les lois étaient aussi sévères qu’elle, il irait expier son crime au fond des cachots. Elle s’en venge du moins en mettant toutes ses connaissances en garde contre lui et en le signalant comme un homme sans foi ni loi. Il y en a qu’elle a ruiné ainsi.


Au-dessous de la fidèle ménagère se rangent les novices qui se font mettre dedans à tout bout de champ et qui servent à l’écoulement des produits de seconde et troisième qualité ; les cuisinières peu scrupuleuses qui trouvent que tout est assez bon pour leurs maîtres.

On ne connaît pas encore beaucoup ici l’art qui enrichit les cuisinières en Europe et leur permet de donner des dots à leurs filles : l’art de faire danser l’anse du panier. Cet art s’exerce sur tout : la cuisinière prélève une commission, qui varie de cinq à vingt pour cent, sur ce qu’elle achète, que ce soient des petits pois ou des jambons. Parfois aussi, elle achète pour son propre compte, profite des bons marchés qu’elle rencontre, et revend avec profit à ses maîtres ; ou bien,