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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/101

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SUR LES ANIMAUX UTILES À L’AGRICULTURE

ment l’innocente chouette des clochers est parvenue à inspirer l’effroi aux enfants, aux femmes et même aux hommes trop crédules ; vous vous expliquerez pourquoi elle est réputée l’oiseau funèbre, l’oiseau de la mort, qui fait entendre sa voix pour appeler au cimetière l’un des habitants de la maison qu’elle visite. Le nom d’effraie fait allusion à ces superstitieuses terreurs : il désigne l’oiseau qui effraye de son chant nocturne les gens assez sots pour croire aux revenants et aux sorciers.

Jules. — Elle peut bien chanter sur notre toit tant qu’il lui plaira ; l’effraie ne m’épouvantera guère.

Paul. — Elle n’épouvanterait personne si chacun voulait bien écouter le bon sens au lieu d’ajouter foi à des contes ridicules. La peur, comme la cruauté, est fille de l’ignorance. Formez-vous la raison, habituez-vous à voir les choses telles qu’elles sont réellement, et la folle peur se dissipera.

L’effraie porte encore le nom de chouette des clochers, parce qu’elle habite les trous des clochers et des vieilles églises. Il peut lui arriver de pénétrer de nuit dans une église pour se livrer à la chasse aux souris. Ceux qui, les premiers, ont surpris l’oiseau malfamé au voisinage de l’autel, n’ont pas manqué de mettre un sacrilège sur son compte ; ils l’ont accusé de boire l’huile de la lampe, ou plutôt de la manger quand elle est figée par le froid. L’accusation est prise ici en flagrant délit de mensonge, car l’huile ne peut se figer dans une lampe qui brûle continuellement. Mais on n’y regarde pas de si près pour noircir la réputation de l’oiseau exécré, et j’aurai beau protester, l’on continuera longtemps, l’on continuera toujours à regarder la chouette comme un profanateur des lampes saintes ; la Provence l’appellera toujours béou l’oli[1].

En réalité, l’effraie se nourrit de souris et de rats, qu’elle prend soit dans les églises, soit dans nos greniers ; de mulots, de campagnols et de lérots, qu’elle chasse dans les jardins et les champs. Voilà certes des services qui devraient faire oublier une réputation mensongère et valoir à l’effraie l’estime et la protection de tous. Reviendra-t-on sur une condamnation que rien, absolument rien, ne motive ? absoudra-t-on un oiseau qui nous rend de très sérieux services et n’est coupable d’aucun méfait ? J’en doute fort. La superstition est trop

  1. Qui boit l’huile.