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Page:Fabre - Les Auxiliaires (1890).djvu/230

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RÉCITS DE L’ONCLE PAUL

découle une bave qui empoisonne les herbes et les fruits sur lesquels il passe ; sa trace est aussi funeste que son aspect est dégoûtant. Il est laid et venimeux. Guerre donc sans merci à la hideuse bête, qui souille la terre, l’air, les eaux et même le regard ! — Voilà ce que disent les accusateurs du crapaud.

Que dirai-je, à mon tour, pour la défense du misérable ? Je dirai la vérité, la simple vérité ; et les accusations dont on l’accable se réduiront à néant.

Que le crapaud soit laid, je ne le discuterai pas ; permis à chacun d’avoir son opinion à ce sujet. Rappelez-vous seulement notre conversation sur les chauves-souris.

Jules. — Je ne trouve pas le crapaud affreusement laid. Son œil doré est plein de feu ; sa voix est douce, presque flûtée, tandis que celle de la grenouille est un détestable coassement ; son corps replet n’est certes pas un modèle de grâce, mais enfin il n’est pas sans mérite.

Émile. — Les petits crapauds qui sautillent parmi les joncs, au bord des mares, me paraissent grotesquement gentils quand ils font la culbute à chaque bond. J’en ai pris un dans la main : mais je ne prendrais pas les gros crapauds ; ils me font peur.

Jules. — Je ne les prendrais pas davantage, crainte de leur venin.

Paul. — Le venin, voilà vraiment le côté sérieux de la question, et non la laideur, très discutable. Le crapaud a la beauté qui lui convient, la beauté du crapaud ; et il ne peut en avoir d’autre sans cesser d’être ce qu’il est.

Quand on les irrite, les crapauds transpirent, par les verrues dont leur peau est couverte, une humeur épaisse, visqueuse, ayant l’apparence du lait. Ce liquide est de saveur nauséabonde et brûlante, d’une amertume insupportable.

Jules. — On a donc goûté la sueur laiteuse qui découle des pustules du crapaud ?

Paul. — Des savants l’ont goûtée pour nous renseigner sur ses propriétés, comme d’autres ont goûté le venin de la vipère. Ayez en haute estime ces audacieux chercheurs, que rien ne rebute pour accroître nos connaissances et soulager nos misères.

Jules. — Le crapaud qui sue, quand on le tracasse, son