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Page:Faucher de Saint-Maurice - Promenades dans le golfe Saint-Laurent, 1886.djvu/173

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LE GOLFE SAINT-LAURENT.

seigneur et maître percevait rigoureusement les rentes annuelles de ses terres ; rentes exorbitantes, lorsqu’on les compare à celles des terres en ce pays. Néanmoins, au milieu de ce sourd mécontentement, quelques anciens colons trouvent le moyen d’être satisfaits de leur position. Plusieurs d’entre eux ont cent acres en état de culture, pour lesquels ils ne payent annuellement que quinze shillings, ou un quintal de morue. Ce sont les rois de l’archipel ceux-là, et ils font bien des envieux autour d’eux : car, un jeune colon qui désirerait louer la même étendue de terre inculte et déboisée, serait obligé de donner vingt piastres chaque année. Si remplissant cette condition, ce dernier devient alors locataire. Pendant quelque temps la jeunesse, l’ambition, l’amour du travail décupleront ses forces. Sous le soc de sa charrue, ces landes désertes deviendront des champs fertiles. La pêche viendra combler son déficit. Il pourra vivre convenablement et sera heureux, autant que peut l’être un locataire. Mais viennent les mauvais jours ; que la rente soit en retard ; alors arrivent les menaces de l’agent. Le démon de l’expropriation plane sur la petite propriété ; et il ne reste plus un malheureux travailleur, que l’exil ou la servitude.

Il ne faut pas s’étonner, si presque toute cette population qui, ailleurs, serait entreprenante et riche, demeure ici dans le demi-sommeil et dans la pauvreté. Les étrangers fuient ce nid de féodalité, et un négociant américain venu il y a quelques années visiter l’archipel, dans le but d’y fonder un établissement de pêche, de la valeur de $80,000, s’en retourna dégoûté, disant à qui voulait l’écouter :