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pas hésité à codifier cet arbitraire et à en faire des lois qui, sous une pompeuse appellation, ne sont que les statuts de l’arbitraire légal. Tout homme qui, par un moyen ou par un autre, impose sa volonté à son voisin commet un arbitraire. La bourgeoisie — comme l’aristocratie d’antan — est coutumière du fait et ne maintient son autorité qu’en faisant usage de l’arbitraire le plus infâme de tous : la répression.

Sous les anciens régimes : la monarchie absolue, l’empire, l’arbitraire ne connaissait pas de limites. Une caste restreinte dominait le pays avec un despotisme brutal. Le paysan et l’ouvrier n’avaient pas plus de droits que les esclaves de l’antiquité. Ils en avaient moins peut-être, car le maître tout au moins ne laissait pas mourir de faim ses esclaves. Mais ce cynisme dans l’arbitraire finit par engendrer la révolte. Des révolutions éclatèrent. Le Pouvoir absolu et personnel se changea peu à peu en un Pouvoir impersonnel et tempéré par une Constitution. Mais ces changements parvinrent tout au plus à atténuer les formes les plus révoltantes de l’arbitraire. Les classes moyenne et prolétarienne qui avaient fait ces révolutions continuèrent à subir des vexations et des brimades de toutes sortes. L’arbitraire fut tout simplement un peu plus hypocrite et prit soin de recouvrir ses forfaits d’un voile légal. La raison en est claire : c’est que l’arbitraire est la conséquence même de l’Autorité. Il ne suffit point de changer ou de modifier cette dernière. Il ne suffit point de l’habiller de mots nouveaux et de la dissimuler sous des formules ronflantes. Si l’on veut supprimer définitivement l’arbitraire, il faut abattre irrémédiablement l’Autorité, seule cause du mal. Et, seuls, les anarchistes se sont fixé cette tâche. — Georges Vidal.

ARBITRE. (Voir Libre arbitre).

ARCHIES. (du grec arché). Cette terminaison désigne les différents pouvoirs qui exercent dans la société l’autorité et le commandement, pouvoirs néfastes à tous les points de vue, incapables d’assurer l’ordre véritable, qu’il s’agisse de la monarchie (monos, un seul), pouvoir laissé à l’arbitraire d’un individu, ou de l’oligarchie (oligos, peu nombreux), pouvoir d’une clique (une olig-archie d’hommes d’affaires, de politiciens, de guerriers, etc…, asservissant le monde à ses caprices, — cent tyrans au lieu d’un), ou de toutes les archies passées, présentes et futures. Qu’elle soit l’expression de la volonté d’un seul ou de plusieurs, l’archie suppose la division de l’humanité en maîtres et esclaves, tous incapables de se diriger eux-mêmes. Hiér-archie (gr. hieros, sacré). La société ne peut pas se passer d’une hiérarchie. Celle-ci découle de l’autorité même ; les individus sont subordonnés les uns aux autres, les uns commandent, les autres obéissent, les uns occupent le faîte de l’édifice, les autres les plus bas degrés, les riches et les puissants ne pouvant pas plus se passer des pauvres et des petits que ceux-ci ne peuvent se passer d’eux. Partout des classes, des castes, des barrières, des divisions, des distinctions… Les individus ne diffèrent pas entre eux par l’originalité (ils sont tous pareils, également tarés), mais par le titre, le costume, la fonction, le galon… Le principe de toute hiérarchie consiste dans la subordination des inférieurs aux supérieurs (ce qui est arbitraire, rien ne prouvant la supériorité de ceux qui, chargés de diriger les esclaves, sont également esclaves, de ceux qui, maîtres de la société, ne le sont pas d’eux-mêmes). Il faut, dit-on, une hiér-archie pour assurer le bon fonctionnement de l’État. Que deviendrait une société dans laquelle chacun ferait ce qu’il voudrait ? Ce serait l’arbitraire. Or, que voyons-nous dans une société hiérarchisée, sinon le triomphe du

désordre ? Nul n’est à sa place, nul ne remplit son rôle, chacun croit faire ce qu’il veut et ne fait que se rendre insupportable au voisin : c’est le bon plaisir des dirigeants qui domine, offrant le spectacle d’une incohérence inimaginable, servie et soutenue par la veulerie des dirigés. La hiérarchie n’est qu’une subordination des intelligents aux imbéciles. C’est une hiér-archie à rebours, une mystification. — Synarchie (gr. sun, avec). Union, solidarité des archies. Synthèse de gouvernement, loi d’organisation sociale. D’après St-Yves d’Alvevdre, Barlet, Lelay et Papus, il existe une analogie entre la loi qui dirige l’homme et la loi qui dirige la société. Les divisions de l’organisme humain (ventre, poitrine, tête) se retrouvent dans la société (économie, pouvoir, autorité). La syn-archie établit une fois pour toutes (?) la loi des dirigeants et des dirigés. Théorie contestable. — Ant-archie. Le préfixe ant désigne la lutte contre l’archie. Il est employé ici comme dans anti-cléricalisme, anti-alcoolisme, anti-social, anti-esclavagiste, anti-révolutionnaire, anti-militarisme, anti-patriotisme, etc… tandis que le vocable anarchie signifie l’absence même de toute archie, la suppression de toute autorité, désigne une attitude au-dessus et en dehors comme a-légal, a-patriote, a-social, a-religieux, a-clérical, a-moral, a-politique, a-nomie (absence de loi imposée du dehors à l’individu, sa propre loi), etc… L’ant-archiste n’a pas le désintéressement et la noblesse de l’an-archiste (l’anti désignant une attitude politicienne, utilitaire, in-esthétique). Cependant, an-archie n’implique pas une indifférence absolue à l’égard du monde social : se placer au-dessus de l’autorité, c’est entrer en conflit avec elle. Néanmoins, on peut échapper à l’idée fixe de la combattre, idée qui finit par engendrer l’esclavage, en nous subordonnant à ce que nous combattons, et nous fait employer les mêmes armes que l’adversaire. L’an-archie est préférable sous tous les rapports à l’ant-archie. — Aut-archie (ne pas confondre avec le vocable précédent) gouvernement de soi-même (autos), self-government des Anglais, système d’autonomie morale préconisé par La Réveillère-Lepault. Anarchie à l’usage des gens du monde et des vieux militaires. Convient aux fonctionnaires retraités, aux correspondants de sociétés savantes, aux professeurs d’énergie… L’autarchiste admet l’État, l’autorité, la propriété, la loi, la hiérarchie. Il a de l’honneur une conception traditionnelle. Il est, il est vrai, ennemi de certains préjugés et de la routine administrative. Il ne fait pas de politique (?). C’est un réformiste. L’autarchiste suit les offices religieux ou se contente de croire en l’Être suprême : M. Homais est autarchiste. L’autarchie, qui prétend avoir son fondement dans l’autonomie individuelle et la liberté de penser, comme l’an-archie, poursuit un but différent. Tandis que l’an-archie fait table rase du social (dans la mesure du possible), l’aut-archie tient compte du social. Tandis que l’an-archiste s’efforce de rompre tout lien avec le monde dit civilisé, de profondes attaches retiennent l’autarchiste au passé. Il n’est pas libéré. Il est altruiste, ne repousse pas l’association (La Réveillère admet même une autarchie communale), accepte l’organisation sociale avec des remaniements, des modifications, reste dans la légalité. L’autarchie est un compromis.

Autres mots forgés avec archie : idiarchie (gouvernement par l’idée) ; logo-archie (théorie préconisant le lien entre les socialistes rationnels, logo-archistes (logos, lien) ; poly-archie (polus, plusieurs) : le régime républicain est une poly-archie ; pan-archie (pan, tout) : on peut dire que la Société tout entière est une vaste pan-archie : l’autorité y exerce sa tyrannie sous toutes les formes, y déploie son incohérence sans limites. Ce système ramène le monde entier à l’autorité ; archiste (partisan de l’archie). — Gérard de Lacaze-Duthiers.