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Page:Feydeau - Le Juré, monologue, 1898.djvu/19

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hasard ! Nous avons joué le verdict, à l’écarté… en cinq sec. Si je gagnais, c’était la condamnation ; si je perdais, c’était l’acquittement. Eh bien ! l’accusé peut se vanter d’avoir eu de la chance : si mon adversaire n’avait pas eu le roi à la retourne, le bonhomme était frit : j’avais le point en main.

Mais aussi, maintenant, je suis bien décidé à ne plus être pris sans vert. Demain j’ai à juger un crime passionnel : "un mari outragé a résolu de tuer l’amant de sa femme ; il l’attend sous la porte cochère, et vlan ! quand l’autre arrive, il lui plonge son poignard dans le cœur !…" C’est parfait ! Seulement voilà le malheur : une fois le poignard dans la poitrine de l’individu, le mari se met à contempler sa victime et s’écrie brusquement : "Ah ! mon Dieu, ça n’est pas lui ! " Et en effet le monsieur qui avait le poignard dans la poitrine n’était pas du tout l’amant, mais un brave huissier, locataire de la maison… et qui rentrait pour dîner ! Il y a des gens qui ont la rentrée malheureuse. Ce qui prouve bien néanmoins qu’un mari devrait toujours tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de tuer l’amant de sa femme.