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Page:Feydeau - Le Juré, monologue, 1898.djvu/20

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Le pauvre meurtrier s’excuse de son mieux : "Oh ! pardon, monsieur, je vous avais pris pour un autre ! " Ah ! bien oui, l’huissier meurt sans proférer une parole, mais son regard exprime clairement cette phrase : "C’est possible, monsieur, mais vous vous en apercevez un peu tard ! " A moins que cela n’ait voulu signifier : "Ah ! vraiment, ce n’est pas de chance, moi qui avais justement du monde à dîner ! " Vous savez, avec les regards, on peut interpréter de tant de façons différentes !

Eh bien ! voilà l’homme que j’ai à juger demain. Le condamnerai-je, ou non ? A cet effet, ce matin j’ai tenu conseil… avec ma femme, ma belle-mère, le cousin de ma femme, et mon valet de chambre. D’abord, ma belle-mère, qui est acariâtre, a commencé par m’exaspérer : "Vous ! ah ! bien, je vous connais ! Vous êtes tellement niole ! vous n’oserez jamais le condamner ! — Moi ! tellement niole ! Ah ! bien, ne continuez pas, vous savez… sans ça je le condamne à mort, moi !… pour vous faire voir si je suis niole ! " Heureusement ma femme m’a calmé… Seulement, elle, elle trouve que le mari doit être condamné, rien que parce qu’il a voulu tuer l’amant de sa femme… et le cousin de ma femme aussi est de cet avis… Maintenant, c’est peut-être pour faire plaisir à sa cousine… il l’aime beaucoup ! N’importe, il m’a dit : "Je suis pour la condamnation… car si tous les maris