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Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/113

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l’ombre s’efface

regards langoureux qu’elle lançait à M. de Sesse et je ne pouvais m’empêcher d’en rire, car j’étais très jeune et me savais aimée. Je ne pensais nullement aux souffrances de cette malheureuse que j’aurais dû tout simplement renvoyer. Je fus terriblement punie. J’allais avoir un enfant, et cette ennemie persuada mon mari que je lui étais infidèle et que le bébé qui allait naître n’était pas de lui.

Je poussai une exclamation d’horreur :

— C’est monstrueux !

— J’ignorais, poursuivit Mme de Sesse ; tout ce qui se tramait contre moi. J’étais heureuse et je me réjouissais de chérir mon bébé.

J’interrompis encore une fois ma grande amie pour m’écrier :

— Cette femme n’avait donc aucune pitié ?

— Le cas que je vous raconte dépasse toute imagination !

Le douloureux récit reprit :

— Je vous l’ai dit, je rêvais de serrer mon enfant dans mes bras, de ne jamais m’en séparer, de le nourrir moi-même, afin qu’il ne fût jamais loin de moi, ni jour, ni nuit. Quand il vint au monde, bien portant, ma joie était entière. C’était une fille ; mon mari désirait un garçon. C’est à cette légère déception que j’attribuai son air soucieux et sa brusquerie. J’étais ignorante des manœuvres d’Amélie et je ne me doutais pas que le soupçon était entré dans l’âme de M. de Sesse pour y causer un ravage effroyable. Encore faible et alitée, mon mari exprima la volonté de placer ma fille en nourrice, pour me punir, me révéla-t-il, de mon infidélité, car il doutait de sa paternité et je devais expier.

Mme de Sesse, encore une fois, s’arrêta.

Ses souvenirs revivaient avec une telle acuité que ses traits en étaient décomposés.

Pour ma part, il me semblait que j’évoluais dans un cauchemar. Je gémissais de pitié :

— Madame, madame, pauvre amie, ce que vous me narrez là est incroyable ! Et cette petite fille est morte, par surcroît ! Vous n’aurez même pas eu la consolation de l’élever ?… Je tremble d’émotion…

Il était certain que je ne me connaissais plus. M. de