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Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/114

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l’ombre s’efface

Sesse me paraissait une créature infernale et je m’expliquais pourquoi sa femme était si froide envers lui. Il le méritait pour l’avoir fait souffrir en lui arrachant son enfant.

— Oh ! madame, je vous plains encore davantage maintenant !

— Attendez, ce n’est pas fini… J’eus, après cette déclaration, une violente querelle avec mon mari et je fus à deux doigts de la mort. Pendant ce temps, il exécuta son projet. Ma fille avait d’ailleurs besoin de soins et de nourriture que je ne pouvais plus, hélas ! lui donner. Elle fut portée par Amélie chez une excellente nourrice dont l’adresse nous fut donnée par notre docteur. Elle s’appelait Mme Tatel. Mais je ne revis jamais Amélie, qui mourut sur le coup, heurtée par une automobile. Je ne pus donc avoir aucun détail sur l’installation de ma fille chez cette femme. Quand je pus enfin me lever, ma première sortie hors de la clinique fut pour ce village où était mon enfant qui devait avoir six semaines. Bien que je regrettasse de n’avoir pas pu veiller sur ses premiers jours, une joie intraduisible me transportait de la revoir. J’en oubliais les paroles dures que j’avais échangées avec mon mari et j’étais toute prête au pardon. Quand nous arrivâmes tous deux chez la nourrice, elle fut des plus surprises quand elle sut pourquoi nous venions : « Un bébé, en nourrice ? Jamais je n’en ai vu. J’ai mis au monde un petit garçon, et comme j’avais beaucoup de lait, j’ai demandé un nourrisson qu’on ne m’a jamais envoyé. » Ces mots me pétrifièrent et je faillis m’évanouir de douleur et d’épouvante. Où était mon enfant ? Cette pauvre femme, qui paraissait la bonté même, me soigna, me réconforta, mais que dire à une mère à qui l’on vient d’avouer une chose aussi terrible ? Je regardai mon mari. Il était pâle comme un mort. Je ne voulus pas l’accabler devant cette femme et je sortis de la maison en chancelant. Dehors, je m’écriai : « Qu’avez-vous fait ? Que signifie ce mystère ? Où est ma fille ? Pourquoi m’avoir donné une fausse adresse ? Je pense que vous n’avez tout de même pas fait disparaître cette innocente pour me châtier d’un crime que je n’ai pas commis ? »

Mme de Sesse parut épuisée de douleur, mais je ne sus que murmurer :