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Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/52

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l’ombre s’efface

dain sous une lourde pensée. Je respectai cette atti­tude qui se soulignait de silence.

Enfin elle reprit, comme si elle rêvait tout haut.

— J’ai mis au monde une petite fille, mais Dieu me l’a reprise.

Je me dressai soudain dans une surprise sans nom. Je m’expliquais maintenant son penchant pour moi. Je me figurais que je ressemblais à l’enfant qu’elle avait perdue, et que son affectueuse sollicitude pro­venait de ce sentiment. Mon enfance sans mère la rapprochait de moi. Je murmurai doucement :

— Quel âge avait votre fille quand elle vous a été ravie ?

— Hélas ! à peine quelques jours…

Un frisson passa sur sa nuque et elle se couvrit les yeux de sa main, comme pour échapper à une vision.

Je fus déçue par cette réponse. Je m’imaginais une fillette ayant des traits de ressemblance avec les miens, et j’étais toute prête à prendre pour mère cette pauvre maman qui pleurait son enfant. Ce petit ange à peine au monde m’intéressait moins.

Cependant, je m’efforçai de consoler Mme de Sesse, mais elle ne parut pas très sensible aux paroles que je lui prodiguai. Une pensée obsédante semblait la posséder et son visage était convulsé.

Enfin elle reprit son expression sereine et son ton gracieux, comme si elle venait d’être délivrée d’un carcan qui l’emprisonnait.

— Vous êtes tout à fait charmante de compatir à la détresse de ma vie. Je ne puis oublier ces moments terribles qui faillirent me tuer. Je ne puis évoquer ces heures sans un sentiment extrême de douleur. Pardonnez-moi d’être aussi lâche devant un malheur qui est arrivé à bien des mères.

À cet instant, M. de Sesse entra et l’atmosphère changea. Sa femme se força à sourire, et le maître de la maison, après m’avoir saluée, se préoccupa de la santé de sa femme :

— Vous vous sentez bien, ma chère amie ? Vous n’avez besoin de rien ?

Elle le remerciait avec cérémonie. Ils paraissaient être un bon ménage, mais il me semblait qu’une con­trainte existât entre eux. Mme de Sesse recevait les