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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/129

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marane la passionnée

Maman ne me répondit pas. Elle prit un livre et s’absorba dans sa lecture.

Je restai penchée vers le feu et j’en regardais les flammes.

Ma mère détacha les yeux de la page ouverte et me demanda sans douceur :

— Marane, à quoi penses-tu ?

Je ripostai sans détour, avec une voix lointaine :

— À Renaud de Nadière…


XI


Ma mère ne fut pas loin de me considérer comme une insensée, quand je lui avais fait part de mon penchant pour M. de Nadière. Elle s’accoutumait difficilement à mes enthousiasmes.

Je lui disais ce qui me venait à l’esprit et ce que je sentais dans mon cœur.

Ma nature était exubérante et mes sentiments s’envolaient de mon âme sans calcul.

Je m’imaginais M. de Nadière mélancolique, blessé dans son amour pour Jeanne, comme je l’avais été dans mon amitié, et cela me suffisait pour me le rendre sympathique.

J’en demandais à vieillir, afin d’avoir l’âge canonique où il me serait permis, sans choquer les conventions, d’aller consoler ce malheureux.

En attendant, ma « beauté » ne s’épanouissait pas. Je restais pâle, sans éclat, et je m’habillais sans recherche, malgré les supplications de maman.

Mars fantasque arriva sans que je modifiasse en quoi que ce fût mon aspect général.

Ce printemps eût été gai, sans mes divers sujets de mélancolie. Vraiment, je me sentais dix ans de plus que l’année précédente, et je donnai raison à maman.

Le castel des Crares prenait un air de fête sous le soleil.

Ce jour-là, je m’étais approchée d’assez près, et je contemplais, par les fenêtres ouvertes, l’enfilade des pièces. Les tentures me plaisaient.

Un ouvrier me dit :

— C’est bien, hein, Mamzelle ?

— Très bien.