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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/130

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marane la passionnée

— Cependant, c’est pas encore si « chic » que vos yeux !

Oh ! là, c’était un compliment sur lequel je ne comptais pas. Il faudra que je me méfie. Je veux me promener sans attirer l’attention, et si mes yeux se remarquent, il faudra que j’y apporte bon ordre.

Je savais à peu près que mes yeux n’étaient pas mal, mais cette appréciation louangeuse ne me fut pas agréable.

J’ai riposté avec raideur :

— Je ne suppose pas que l’on vous paie pour faire des compliments aux paysannes de ce pays !

Il m’a regardée assez interloqué. J’en ai profité pour m’éloigner.

Il y a peut-être des jeunes filles qui eussent été ravies d’avoir suscité l’admiration d’un homme simple, en se disant que son compliment avait d’autant plus de valeur. Pour ma part, j’étais furieuse.

Je me cachai derrière une voiture de matériaux et j’allais m’en aller, quand je vis sortir de la maison un homme jeune, grand et mince.

Il n’avait pas de chapeau. Il me parut brun, avec des yeux noirs. Une moustache légère barrait sa lèvre.

Je fus frappée par son air de distinction. Il donnait des ordres avec une politesse contenue qui me subjugua.

Il souriait un peu, mais ce sourire était si retenu, si désabusé que j’en ressentis une peine affreuse.

Ah ! que j’oubliai vite M. de Nadière !

Toutes mes velléités de consolation, de réconfort, se reportaient sur cet inconnu. J’en étais absolument honteuse et bouleversée.

Je me retirai lentement, mais j’aurais voulu rester toujours, rien que pour regarder cet étranger agir.

Je ne sais pas comment je revins à la maison. Je me remémorais tous les détails de sa toilette, tous ses jeux de physionomie, sa démarche et sa façon de regarder et d’écouter.

Tout de suite, j’avais deviné M. Descré. Il était venu pour savoir où en étaient ses travaux.

La lande monotone, la forêt me parurent soudain animées d’un mouvement intense.