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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/138

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marane la passionnée

confirmée dans mon idée que tu n’aurais peur de rien pour arriver à tes fins.

Pour toute réponse, j’éclatai de rire.

Maman reprit plus haut :

— Tu vois que tu n’as pas de cœur. Tu le vois ! Chanteux te gênait… et…

— … Je l’ai supprimé ! achevai-je en riant.

— Tu ris ! s’écria ma mère, épouvantée.

— Mais oui, je ris, parce que tu prends des choses logiques au tragique. Tu te figures que je vais me débarrasser de Mme Descré ?

Maman frissonna et je restai songeuse.

La femme de l’homme que j’aimais se matérialisait devant moi. Je l’imaginais grande, blonde, avec un air distingué et froid.

Elle se mouvait comme une déesse, était rare de ses gestes, et ordonnait plutôt qu’elle ne priait. Il me semblait que son mari devait la craindre et qu’il n’osait exprimer son opinion.

Je me donnais le beau rôle dès que j’entrais dans leur intimité. J’étais douce, humble et j’adorais en silence.

Ces rêveries me plaisaient et l’ouvrage léger que je tenais dans mes mains, à côté de ma mère, avançait bien peu.

— Tu ne travailles guère, remarqua maman.

— Non, il y a trop longtemps que je suis assise ; je vais aller me promener.

— Non !

— Oh ! maman, ne prends pas cet air sévère, et laisse-moi sortir. Tu ne voudrais pas m’enfermer dans la maison des journées entières.

— Tu te promèneras en ma compagnie.

— Tu marches trop lentement !

— Je ne veux pas que tu ailles aux Crares, que tu te fasses remarquer par ces inconnus. Que dirait-on de toi !

— Que je m’intéresse aux travaux.

— Oui, mais les ouvriers insinueront aussi que tes yeux s’arrêtent trop longtemps sur le propriétaire, et tu seras la risée de ces gens !

— Quelle idée ! Ces travailleurs n’ont pas une imagination débordante.