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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/145

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marane la passionnée

— Un peu, mais ma peur a été vite passée, me répondit Mme Descré aimablement.

M. Descré s’inclinait devant moi. D’un coup d’œil, je me fortifiai dans ma conviction d’être devant un homme distingué. Mon sang battait dans mes artères à me faire perdre connaissance alors que je saluais.

Je crus rester dans la note que je désirais, c’est-à-dire que je m’évertuai en un salut sans art, ainsi qu’une personne effacée qui n’a pas l’habitude des usages mondains. Je repris :

— Je regrette que vous ayez eu peur, Madame. Ces chiens ne sont pas méchants. Je les promène chaque jour. Ils appartiennent à Mme de Caye, dont je suis la dame de compagnie.

J’avais trouvé brusquement cette fonction, enchantée de ma présence d’esprit et de mon stratagème.

Mme Descré répliqua gracieusement, mais avec une nuance — oh ! à peine perceptible ! — de protection, ce qui m’amusa :

— Vous connaissez probablement bien le pays ?

— Parfaitement. Et je l’aime beaucoup. Jamais je ne m’y ennuie.

J’allais devenir enthousiaste, mais je réprimai mon ardeur. Je voulais être une personne posée, sans éclat.

— Pourtant, vous n’êtes sans doute pas de ces parages ?

— Je n’en suis pas très éloignée, ripostai-je d’une voix sans intonation.

J’aurais voulu entendre M. Descré. Il me regardait comme s’il ne me voyait pas. Je risquai :

— Vous vous promenez tous les jours ?

— À peu près. Il faut connaître le pays où l’on va vivre.

Ma surprise allait croissant, en écoutant Mme Descré. Il me semblait qu’elle ne considérait pas son compagnon comme un mari.

Et je faillis bondir de joie et chanter un hymne à Dieu lorsque ces paroles miraculeuses parvinrent à mon oreille :

— Mon fils aime beaucoup la Bretagne. La mer l’attire, la lande le séduit.

Juste ciel ! C’était son fils ! Elle n’était pas sa femme ! Je regardai les doigts de M. Descré. Il ne portait pas d’alliance. Il n’était pas marié.