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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/146

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marane la passionnée

Je ressentis un tel bonheur de ces constatations que j’eus une peine extrême à retenir mon exubérance. Cependant, les paroles sages de maman s’imposèrent à moi et me guidèrent.

— Puisque vous vous promenez, reprit Mme Descré, nous pourrions peut-être excursionner dans des endroits curieux ?

— Naturellement ! m’écriai-je. J’ai du temps de libre, parce que Mme de Caye, à cette heure-ci, fait sa correspondance. J’ai trois heures devant moi, chaque jour.

Quel hosanna mon cœur chantait ! Quelle allégresse s’infiltrait dans mon sang ! Je n’osais plus regarder M. Descré, de crainte qu’à travers mes verres jaunes il ne fût ébloui par mes yeux fulgurants.

Il ne prenait sans doute aucun plaisir à ma compagnie, car son visage se recouvrit petit à petit d’une ombre douloureuse.

J’aurais voulu m’informer de ce qui le peinait. La pitié envahissait mon cœur et déjà des élans d’infirmière me soulevaient pour panser les blessures morales que je lui soupçonnais.

Je ne pus contempler longtemps son air désabusé. Voyant sa mère me parler, il me salua soudain en disant :

— Je suis forcé de rentrer très vite pour certains détails d’aménagement. Je vous laisse, Mesdames.

Hélas ! je ne pouvais pas le retenir ! Je devais paraître indifférente. Je le suivis des yeux et je murmurai en me tournant vers sa mère :

— Comme il a l’air absorbé !

Mme Descré tressaillit, et, plongeant ses yeux dans les miens, elle articula d’un ton nerveux et rapide :

— Vous l’avez remarqué ? le pauvre enfant ! Elle avait prononcé ces derniers mots presque bas, et il fallait mon oreille fine pour que je les entendisse.

Je les attrappai au vol et je demandai :

— Pourquoi le plaignez-vous ?

Elle parut choquée de mon indiscrétion et ne me répondit pas. Ses traits se figèrent un peu et elle me questionna à son tour.

Mme de Caye est-elle une personne agréable ?

Cet intérêt m’amusa et je faillis rire. Cependant la demoiselle de compagnie que j’avais nommée Maria Lespir, devait s’attendre à cette question.