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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/147

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marane la passionnée

Il me vint que cette dame voudrait peut-être entrer en relations avec maman, et j’entrevoyais de joyeuses compli­cations dans l’imbroglio que j’aurais suscité. Il valait mieux présenter ma mère sous des dehors peu accessibles, afin que Mme Descré ne souhaitât pas trop vite des rapports de bon voisinage. Je répondis d’un air contrit :

Mme de Caye est restée assez réfractaire aux visites, depuis la mort de son mari. Elle ne tient nullement au monde ; cependant, comme elle n’aime pas la solitude, elle a pris une demoiselle de compagnie.

Mme Descré réfléchissait. Je ne sais si elle était déçue, mais elle ne poursuivit pas son enquête. Je craignais qu’elle ne s’informât de la famille que possédait maman, mais elle ne s’occupa même pas du nombre de ses enfants.

Je n’osai pas montrer l’amabilité que mon contentement me faisait éprouver. Je me cantonnai dans un rôle passif, afin de ne pas provoquer de méfiance.

Nous nous quittâmes, enchantées l’une de l’autre : elle, parce qu’elle avait trouvé un exutoire, et moi, parce que je lui avais suggéré l’idée de la conduire sur mes rochers préférés. J’avais ajouté, avec la plus parfaite apparence d’insouciance, que son fils serait ravi de connaître cet endroit, étrange entre tous.

Sa curiosité fut vivement éveillée, et, quand nous eûmes convenu de notre rendez-vous, je la quittai.

Je m’observai durant quelque cinquante mètres, donnant à mon allure une pesanteur de femme qui porte le poids d’une trentaine alourdie. Mais, sitôt que je fus cachée par un tournant, j’enlevai mes lunettes, et je bondis à l’exemple de mes chiens. Les bonnes bêtes retrouvaient leur jeune maî­tresse avec ses fantaisies, et elles jappaient joyeusement.

Ce fut dans un délire de joie frénétique que j’escaladai les marches du perron, que je courus à travers les vestibules pour surgir sans frapper dans la chambre de maman.

Je hurlai littéralement en criant :

— Il n’est pas marié !

Ma mère, en train d’écrire, avait sursauté en m’entendant. Elle s’exclama :