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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/59

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marane la passionnée

Je pensai à la conversation que j’avais eue avec mes cousines. Jean-Marie allait peut-être devenir un flirt, et, s’il voulait m’embrasser, que ferais-je ?

Je rejetai cependant cette idée. J’avais toujours dominé ce jeune paysan et sans doute entendait-il que notre amitié serait pour lui comme un rôle de page.

Je revins à la maison, mais je ne ressentais pas la joie que j’avais éprouvée lorsque j’avais cru voir en Jeanne de Jilique une amie unique. Il me semblait que je déplaçais les usages. Mais pourquoi n’aurais-je pas un ami au lieu d’une amie ? Que signifiait cette différence, garçon ou fille ? Le tout était d’aimer et d’avoir un cœur à soi, et un cœur simple, comme le disait notre cousine de Jilique. Or, Jean-Marie était simple.

Je cherchai maman. Elle était dans sa chambre. J’annonçai en entrant :

— J’ai une amie !

Elle me regarda d’abord, puis elle me demanda :

— Où l’as-tu découverte ?

— Pas loin. À la ferme des Cordenec.

— Tiens ! Il y a une jeune fille de ton âge chez eux ?

— Non.

— Alors ?

— Eh bien ! mon amie, ce sera Jean-Marie.

— Quelle est cette plaisanterie ? s’écria assez sévèrement ma mère.

— Ce n’est pas une plaisanterie. Je trouve que Jean-Marie a beaucoup de qualités. Il est doux. J’aurai ainsi un être dévoué qui m’aimera. Tu l’inviteras de temps en temps à dîner avec nous. Ce n’est pas le rang qui compte, c’est le cœur. Or, je suis certaine que le cœur de Jean-Marie est mieux placé que celui de Jeanne de Jilique.

Ma mère m’écoutait avec terreur, me semblait-il. Ses yeux, ouverts démesurément, me contemplaient comme si soudain mon visage avait changé. Je voyais que la surprise la pétrifiait. Elle s’écria :

— Tu ne vas pas te lier d’amitié avec ce garçon ?

— Je ne me lierai pas avec la famille, mais Jean-Marie est très bien élevé.