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Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/60

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marane la passionnée

— Tu es folle ! On ne joue pas à l’amitié avec un jeune homme.

— Je ne veux pas jouer, interrompis-je impatientée ; il s’agit d’avoir un ami. Tu crains sans doute que je ne flirte, que je ne m’amuse au jeu de l’amour ?

— Ciel ! cria ma mère en se bouchant les oreilles.

— Eh bien ! maman, qu’est-ce qui te prend ?

— D’où sais-tu ces choses ?

— Ce sont mes cousines qui me les ont apprises.

— C’est abominable.

— Non, c’est la vie, m’ont-elles dit. Eh bien ! ne crains rien, je n’embrasserai pas Jean-Marie.

— Oh ! peux-tu seulement prononcer ces mots ! Mais quelle nature as-tu donc ? Tu te sauves de chez ma cousine pour recommencer une bêtise plus lourde encore ! Je t’interdis de revoir Jean-Marie.

— Il est trop tard, dis-je gravement, le pacte est fait.

— Quoi ? Quel pacte ?

— Le pacte d’amitié, de confiance mutuelle ; il comprend les choses comme moi, et nous serons fort heureux.

Ma mère poussa un gémissement. Je crus qu’elle s’évanouissait, mais elle m’ordonna d’une voix forte comme je ne la lui avais jamais entendue :

— Je te défends expressément de causer avec Jean-Marie !

Je me cabrai. Je me croyais sensée. J’avais remporté une victoire sur Évariste, sur ma cousine, sur Chanteux. Je me jugeais supérieure à tout le monde. C’était mon orgueil, certainement, qui me le faisait croire, mais je ne m’en doutais pas.

Je criai :

— Rien ne me fera revenir sur ma décision, rien. Je tiens à avoir une amie, et, puisque les filles sont fausses, je me contenterai d’un jeune paysan, d’un garçon qui est, comme moi, enfant de la nature.

— Seigneur ! murmura maman, sauvez-la !

Après cet éclat, je me ruai dehors. Le vent de novembre giflait les branches. Il y avait quelques feuilles encore qui tourbillonnaient. La mer, au loin, grondait. Mais il me semblait qu’elle rugissait moins fort que ma colère.