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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/126

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Avec de pareils projectiles, les casemates ne constituent plus qu’un abri dérisoire. Avec l’obus-torpille Gruson, chargé d’hellofite (binitro-benzol et acide nitrique), les fascines et les poutrelles qui protègent la voûte sont réduites en morceaux, la couche de terre est dispersée ; les dégâts, d’après le rapport de témoins oculaires, sont à peu près irréparables. Il y a bien encore quelques inconvénients : le tir manque de précision ; mais il ne faut pas oublier que le jour où l’obus-torpille fera partie du matériel de guerre, des tables de tir seront dressées tout exprès, et l’on parviendra bien vite à une régularité analogue à celle des canons de 120 et de 155.

En résumé, l’obus-torpille destiné à démolir les talus de terre et les remparts de granit existe. Ce qui le prouve, c’est que, depuis 1887, l’artillerie française ne fabrique plus qu’un très petit nombre d’obus chargés avec de la poudre ordinaire. Tous les obus destinés à l’artillerie de place et de siège sont chargés avec de la mélinite.

Qu’est-ce que la mélinite ? Comme nous l’avons dit plus haut, elle paraît consister en un mélange d’acide picrique et de trinitro-cellulose soluble : c’est tout ce que l’on en sait.

Au mois de septembre 1886, le Ministre de la guerre assistait, à la Fère, à d’importantes expériences sur les obus-torpilles chargés de mélinite. Les députés, membres de la commission du budget, l’avaient accompagné, pour examiner de près, sur place, les résultats obtenus, et pour demander ensuite aux Chambres les crédits nécessaires à la poursuite de ces intéressantes recherches. Ces expériences furent continuées plus tard au polygone de Vincennes (fig. 105). C’est à leur suite que le Ministre de la guerre décida l’adoption des obus à la mélinite, et la généralisation des tourelles cuirassées pour la défense des places.

Le gouvernement français avait acheté de M. Turpin le brevet de la mélinite ; depuis cette époque, deux savants, MM. Berthelot et Sarrau, ont perfectionné le mode de fabrication de cette substance, si bien que sa préparation et son emploi n’offrent plus, dit-on, le moindre danger.

Il est d’autant plus nécessaire qu’on nous rassure sur ce point, que personne n’a perdu le souvenir de la terrible catastrophe arrivée à l’arsenal de Belfort, le 10 mars 1887.

À onze heures et demie du matin, une formidable détonation se faisait entendre dans la cour de cet arsenal. On avait récemment construit, dans cette cour, une barraque en planches, où les artificiers et les soldats du 9e bataillon de forteresse procédaient au chargement d’obus à mélinite. Une trentaine d’obus avaient été remplis, durant les deux précédentes journées. Les règlements militaires déterminaient de la façon la plus minutieuse les précautions à prendre dans ce cas : l’officier présent devait consulter le thermomètre, pour s’assurer que la température ne s’élevait jamais au-dessus d’une certaine limite. Comment cette explosion eut-elle lieu ? L’enquête a établi qu’un artilleur avait tassé dans un obus de la mélinite encore chaude ; des gaz se développèrent, atteignirent une forte pression, et l’explosion eut lieu.

Tous les soldats présents furent renversés, par la violence du choc ; trois furent tués sur le coup ; l’un d’eux, le chef artificier, eut le haut de la tête emporté ; un autre fut littéralement mis en morceaux ; un troisième fut coupé en deux. Il y eut neuf morts, au total.

Aujourd’hui, heureusement la mélinite, rendue insensible aux chocs et aux frottements, ne fait plus explosion que sous l’influence d’un détonateur particulier. C’est tout ce que nous avons le droit de dire sur ce point de notre organisation militaire, où le secret s’impose de lui-même.

L’apparition de l’obus-torpille capable de