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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/295

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pilles). Nous avons vu, dans le Supplément à l’artillerie moderne, la lutte s’engager, sur terre, entre l’artilleur et l’ingénieur. La même émulation se poursuit, sur mer, entre le marin, qui conduira les bâtiments au combat, et celui qui s’occupe à les construire.

Au fond, nous avons profité des leçons du passé, et des faits constatés chez les nations étrangères qui ont fait la guerre d’escadre. Les incidents de la guerre de Sécession, en Amérique, apportaient avec eux leur enseignement. Pour des officiers instruits, il était clair que l’éperon dont on avait armé, au début, ces colosses maritimes, n’avait été d’aucune utilité, et qu’il ne fallait plus compter que sur le canon.

Mais quant au canon lui-même, l’espoir qu’avaient eu les Américains du Nord de demander aux boulets énormes, lancés par des canons lisses, l’éventrement des cuirasses métalliques, fut complètement déçu. On s’occupa, dès lors, de faire des canons rayés de gros calibre, lançant des obus de rupture, et c’est de ce moment que date la lutte qui s’est ouverte entre la cuirasse et le canon, lutte qui dure encore, et qui a coûté des milliards.

Un exemple frappant de la lutte dont nous parlons entre la cuirasse métallique et l’obus fut donné en 1879. Le 7 octobre, deux cuirassés chiliens attaquaient un cuirassé péruvien. Les trois bâtiments qui étaient engagés présentaient presque au même degré que la plupart de ceux actuellement en service en Europe les derniers perfectionnements.

Le cuirassé péruvien, le Huascar, avait dans ses tourelles deux canons de 24 centimètres d’épaisseur. Les cuirassés chiliens, le Cochrane et le Blanco-Encelada, étaient à réduit central, à peu près du même modèle, mais de dimensions plus modestes que celles des cuirassés qui forment actuellement notre escadre. Ils portaient, chacun six canons, tirant par les sabords du réduit, tandis que ceux du Huascar avaient « l’horizon tout entier pour champ de tir ». Ces trois navires, qui sortaient des chantiers anglais, avaient fait preuve de brillantes qualités nautiques.

Le capitaine de vaisseau Gougeard, qui fut plus tard ministre de la marine, et qui est mort en 1886, a fait du combat entre ces deux navires cuirassés le récit suivant :

« L’action s’engage à 9 h. 20 du matin. Le Cochrane s’étant approché à 2 500 mètres du Huascar, ce dernier lui envoie un obus, et continue un tir en retraite, auquel il n’est pas répondu. Le Cochrane marche sensiblement mieux ; en dix minutes, il s’est approché de 1 500 mètres, et le combat sérieux s’ouvre à 500 mètres environ. L’efficacité du tir est loin d’être égale de part et d’autre ; le cuirassé chilien ne perd pas un seul des projectiles, tandis que les obus du Huascar manquent presque toujours le but et se perdent inutilement dans la mer. »

Le combat se termina par l’échouement du navire cuirassé chilien (fig. 251).

La lutte entre l’épaisseur de la cuirasse et la puissance de l’artillerie n’a fait que continuer depuis l’engagement naval des deux navires, péruvien et chilien, qui marqua le premier combat de ce genre. Toutes les nations ont suivi ce mouvement, et la transformation des flottes de guerre a été incessante en Europe.

Le principal perfectionnement a consisté à substituer, dans la fabrication des coques de navire, l’acier au fer, ce qui a permis de réduire considérablement le poids de la coque des navires. En même temps, l’ensemble du bâtiment a acquis une rigidité et une solidité plus grandes. Enfin, la protection intérieure (ce que l’on a coutume d’appeler le cofferdam) n’a pas cessé de progresser. En d’autres termes, on s’est appliqué et on est parvenu à résoudre ce problème : construire un navire qui soit