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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 6.djvu/356

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de dire si les torpilleurs s’étaient assez rapprochés des cuirassés pour les couler, ou si les cuirassés avaient assez criblé de projectiles les torpilleurs, pour les empêcher d’avancer.

Un ancien officier de marine, qui fut le témoin très impartial de ces manœuvres, raconte en ces termes un épisode de ces derniers exercices :

« Vers 2 heures 30 du matin, le torpilleur 62, commandé par le lieutenant Dubois, le même qui avait fait sauter une frégate chinoise à Schee-poo, se présente, se dérobe en restant à la lisière d’un faisceau électrique, et poussant à toute vitesse, il entre dans la baie, avec une admirable crânerie. Il active son feu, en doublant la jetée. Le torpilleur n’a essuyé que quelques coups de canon-revolver ; malheureusement, le lieutenant se trompe sur la distance ; il est aveuglé par les foyers des projecteurs de lumière, et il lance sa torpille à 500 mètres de l’Hirondelle, le croiseur de tête ! »

Il est donc vrai que la manœuvre d’un torpilleur est sujette à bien des hasards.

En résumé, il n’appartient encore à personne de se prononcer sur la tactique à établir à l’égard des flottilles de torpilleurs. La nation qui voudrait se servir exclusivement de cuirassés, ou exclusivement de torpilleurs, irait certainement au devant de désastres ; mais si la tactique des cuirassés est faite, celle des torpilleurs est encore à trouver.

Ce qui est certain, c’est que les torpilleurs rendront d’autant plus de services qu’ils seront plus transportables. En 1885, le torpilleur 68 est allé du Havre à Marseille, en remontant la Seine, traversant Paris, puis le canal de Bourgogne, et descendant ensuite la Saône et le Rhône. On l’a vu à Paris amarré, pendant quelques jours, sur la Seine, au quai d’Orsay. Voilà un fait qui démontre la bonne construction de nos torpilleurs, sous le rapport de la facilité du transport.

Depuis cette époque, le gouvernement a mis à l’étude une très intéressante question le transport des bateaux-torpilleurs par les chemins de fer. On a construit, pour cet objet particulier, un train spécial de chemin de fer. Il est composé de quatre wagons. Chacun de ces wagons est pourvu, en son milieu, d’une charpente horizontale métallique, articulée de manière à lui permettre de suivre toutes les courbes de la voie, pendant que le torpilleur, hissé sur les quatre trucks, conserve sa forme rigide ordinaire. C’est dans ces conditions que le torpilleur 71 fut transporté de Toulon à Cherbourg, en 1889.

Cette expérience est de la plus grande importance. Sans qu’il soit besoin de beaucoup insister, on devine quels avantages il y aurait à pouvoir transporter notre flottille de torpilleurs en deux jours, du Havre, à Marseille, ou de Toulon à Cherbourg. C’est le cas de dire que nos torpilleurs seront toujours sur le lieu du danger.

En terminant l’examen de cette question, nous exprimerons un vœu : c’est que, de part et d’autre, on abandonne des procédés de polémique qui sont fâcheux. Nul ne songe à supprimer nos cuirassés, et à composer la flotte française uniquement de croiseurs et de torpilleurs. Ceux qui croient à l’action efficace des torpilleurs et ceux qui n’ont de confiance que dans la puissance, le tonnage et la masse des vaisseaux cuirassés, poursuivent, en définitive, le même but : les uns et les autres veulent que notre marine soit forte, nous allions dire invincible. Sur ce terrain, tous les Français sont, d’accord !