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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/212

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aurait-elle dormi davantage si le plaisir qu’elle éprouvait en rêve ne l’eût éveillée. Elle se croyait sous la lèvre de Monseigneur et revivait l’inoubliable journée où son âme s’était envolée jusqu’aux portes du Ciel. Mais, au lieu de la perruque poudrée de M. de Bernis, elle avait reconnu l’abondante chevelure rousse de Nicole et aperçu des rotondités que Monseigneur ne s’était pas permis de lui découvrir. Alors, son plaisir cessa du même coup, malgré l’application de sa compagne à le vouloir prolonger.

Dans l’entretien qui suivit, elle dévoila à Nicole son insensibilité lorsque l’amour profane ne se mêlait pas par artifice à l’amour de Dieu. La Boiteuse s’en montra fort étonnée. Elle ne comprenait pas très bien. Mais elle crut comprendre davantage quand Raton, blottie contre elle, lui confia que le Divin Maître lui apparaissait quelquefois et presque à son désir.

— Comment est-ce qu’il est ? demanda Nicole.

— Il est blond, lui répondit Raton dans l’oreille et en dégustant chaque mot avec délice. Il porte une jolie barbe frisée. Il a les yeux couleur du ciel au mois de mai.

— Je l’aimerais mieux brun, soupira Nicole, et sans cette sacrée barbe : ça gratte les joues et ne se porte guère qu’aux armées en campagne, quand on n’a pas de temps à soi. J’ai vu ça en suivant les gens de M. de Soubise,