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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/242

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s’étonner outre mesure. Cependant, l’attitude du convive qui passait les plats avec une gravité de fossoyeur devint si gênante que la niaiserie et le ridicule du lieu prirent la tournure efficace qu’on leur avait voulu donner. L’oscillation de la flamme des bougies, en déplaçant les ombres, communiquait vie et mouvement aux figures de cire, et ces demoiselles, qui ne mangeaient que du bout des lèvres, évitant jusqu’au bruit des fourchettes, tressaillaient aux grésillements des mèches, comme si ç’eût été un râle à peine perceptible. De gros papillons qui tournoyaient autour des lumières, et qui ne pouvaient appartenir qu’à l’espèce dite tête de mort, leur paraissaient être de vieilles âmes en peine chargées de la poussière du tombeau. La blancheur de la nappe, sa fraîcheur au toucher, ses candélabres d’argent, leur imposèrent l’idée d’un linceul qu’elles ensanglanteraient de leurs seins coupés, et la chair de poule commençait de manifester ses élevures sur les parties de leurs corps qu’elles exposaient aux regards. C’est alors que l’abbé Lapin fit éclater un triple éternuement, afin de montrer que la froideur du sympose était à son comble, et d’attirer l’attention sur sa personne qui ressentait vivement les aiguillons de la soif.

Ces éternuements, ces clapissements farouches dressèrent sur pied les pauvres filles, à l’exception de Raton