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Page:Fleuret - Histoire de la bienheureuse Raton, fille de joie, 1931.djvu/375

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Sans ressentir l’agonie du Christ, elle voyait à travers ses larmes la foule des spectateurs, notablement accrue, regarder les trois suppliciés par manière de désœuvrement. Le plus grand nombre des nouveaux venus était vêtu à la moderne, car les notions historiques de Raton en cette matière se réduisaient à des tableaux d’église et des images de piété. Il y avait là des oublieurs avec leurs boîtes à tourniquet, des Savoyards et leurs marmottes, des laquais, des bourgeois, des nouvellistes, des petits-maîtres, des gardes-françaises coiffés sur l’oreille et le briquet en verrouil, des crocheteurs et leurs crochets, des dames de la Cour et de la Halle, des bouquetières, des marchandes d’huîtres à l’écaille, et des filles empanachées ; bref, la bonne et la mauvaise compagnie.

Au moment où le soldat allait enfoncer sa lance dans le Divin Côté, tous ces gens s’écartèrent et tournèrent le visage vers Raton comme pour la prendre à témoin ou juger de sa propre douleur. Le Bien-Aimé lui fit la grâce de sourire tristement. Raton tendit les bras vers Lui dans une effusion suprême et en répandant de si abondantes larmes qu’on en eût rempli un vase d’autel ou la terrine de la bienheureuse Véronique de Binasco. Les voix suspendirent presque le Psaume Cantate Domino dans cette minute si touchante. Mais l’expression de Raton marqua tout aussitôt de la stupeur. Ses mains