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Page:Focillon, Piranesi, 1918.djvu/12

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IX
introduction

en vient au dix-huitième siècle, après avoir fait la part de l’Italie dans la culture européenne du temps, il examine avec ampleur les causes de la décadence de l’art. Il insiste sur la tristesse des circonstances politiques et sur le long esclavage. Il reproche aux italiens d’aimer leur servitude, leur repos, leur plaisir et toutes les frivolités venues de l’étranger. Il prend en pitié l’érudition pédantesque et métaphysique abstraites, déplore, chez les artistes du temps, y compris Tiepolo, l’absence de sublimité dans le génie, de chaleur dans la passion. Pendant quarante années de paix profonde, aucun prince, sauf Charles III, n’a songé à faire travailler les peintres et les sculpteurs ou à bâtir des édifices dignes des grands exemples légués par les anciens. Les riches sont oisifs et frivoles, soumis au caprice des modes imposées par l’Europe : la France rend à l’Italie, mais défigurés, les arts qu’elle lui avait jadis empruntés. La ferveur religieuse disparaît et, avec elle, toute inspiration grande. Enfin la vogue extraordinaire de la gravure, — tout en assurant la diffusion des belles œuvres, en rendant faciles à connaître et à étudier les chefs-d’œuvre des collections privées, en épargnant de longs voyages aux amis de l’art, — tend à diminuer l’originalité de l’invention, permet aux peintres de s’inspirer trop aisément et trop fidèlement d’autrui, prépare et garantit les plagiats, sous le nom d’imitation des maîtres… Mais le coup de théâtre d’Herculanum se produit, l’histoire change d’aspect, mille circonstances favorables à un renouveau sont déterminées du même coup.

Il serait intéressant de contrôler l’exactitude de ce tableau. La médiocrité artistique de l’Italie au dix-huitième siècle est discutable, puisque c’est à cette époque qu’elle a produit ses plus illustres musiciens et fait retentir, entre tant d’autres, la grande voix de Marcello, sans parler des maîtres de l’école vénitienne de peinture, de nombreux architectes incontestablement doués et de quelques beaux graveurs. Dès à présent, il est permis de se demander si, derrière les apparences de nonchaloir voluptueux, de pénétrabilité cosmopolite, de dissolution morale, il ne subsiste pas en elle des éléments assez nombreux et assez vivants de sa grande tradition, pour expliquer, sans avoir besoin de recourir au miracle de la résurrection campanienne et à l’afflux des chercheurs étrangers, tant de manifestations éminentes et méconnues