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Page:Focillon, Piranesi, 1918.djvu/13

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PIRANESI

de son génie, pour justifier d’une manière générale, — sans le déterminer autrement, — la possibilité d’un Piranesi. Les vices qui font la faiblesse de l’Italie comme nation, sa mollesse, sa licence, sa dispersion intellectuelle, sont peut-être favorables à l’éclosion de personnalités indépendantes. Il y a des âges autoritaires, concentrés, où la pensée est unanime et d’un seul jet, où les habitudes de la race et les courants de la conscience nationale modèlent avec uniformité l’esprit et les mœurs. Le settecento est beaucoup plus épars et presque fuyant. Dire de Piranesi qu’il est du dix-huitième siècle n’apprend pas grand chose sur les caractères de son art : du moins, il est vrai que son temps garantissait la liberté de son humeur et de ses songes. A cet égard, l’Italie restait une terre féconde. De la surprenante vitalité de son âge d’or, elle conserve quelques traits curieux.

II

À force d’étudier les colonies française, anglaise et allemande attirées en Italie par les fouilles heureuses de Charles III et par la magnifique publicité[1] que Piranesi faisait à sa ville d’élection et aux antiquités romaines, on court le risque de ne plus voir l’Italie elle-même, de méconnaître l’effort de ses artistes et de ses savants. L’histoire des milieux cosmopolites, comme la médiocrité des peintres de la plupart des écoles, — exception faite pour les Vénitiens, — tendrait à faire croire que l’Italie a épuisé les plus beaux dons de son originalité créatrice, qu’elle est devenue exclusivement la galerie, l’atelier et le champ de fouilles de l’Europe. En fait, elle n’a jamais oublié les principes de sa grande époque, ils sont en elle et dans son génie, et s’ils ne se manifestent plus avec éclat qu’à de longs intervalles, ils continuent néanmoins à se faire sentir dans le mouvement des idées, les habitudes d’esprit et les mœurs ; ils subsistent, malgré les nuances nouvelles que la fortune politique et morale de l’Italie impose à leurs

  1. Cicognara, op. cit., ibid. « Giovan Batista Piranesi… e dopo lui Francesco e gli altri délia famiglia… diedero pittoresca e facile e nogïlissima pubblicità a tutte le romane antichità… »