Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/457

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Puis, elle balbutiait des lambeaux de phrases : elle demandait à boire ou suppliait Dieu d’abréger ses tortures.

— Ah !… c’est atroce !… Je souffre trop ! La mort, mon Dieu ! la mort !…

Tous les gens qu’elle avait connus, elle les invoquait, criant à l’aide, d’une voix déchirante.

Elle appelait Mme d’Escorval, l’abbé Midon, Maurice, son frère, Chanlouineau, Martial !…

Martial ! ce nom seul, ainsi prononcé, eût suffi pour éteindre toute pitié dans le cœur de Mme Blanche.

— Va !… pensait-elle, appelle ton amant, appelle !… Il arrivera trop tard.

Et Marie-Anne répétant encore ce nom :

— Souffre !… poursuivait Mme Blanche, toi qui as inspiré à Martial l’odieux courage de m’abandonner, moi, sa femme, moi la marquise de Sairmeuse, comme un laquais ivre n’oserait pas abandonner la dernière des créatures perdues… Meurs ; et mon mari me reviendra repentant.

Non, elle n’avait pas pitié. Si elle était oppressée à ne pouvoir respirer, cela venait simplement de l’instinctive horreur qu’inspiré la souffrance d’autrui, impression toute physique, qu’on décore du beau nom de sensibilité, et qui n’est qu’une manifestation du plus grossier égoïsme.

Et cependant Marie-Anne allait s’affaiblissant à vue d’œil.

Les spasmes devenaient moins fréquents, les périodes de rémission de plus en plus longues ; les nausées faisaient encore haleter ses flancs, mais elle ne vomissait plus, et après chaque crise l’anéantissement augmentait, pareil à une syncope.

Bientôt elle n’eut même plus la force de se plaindre, ses yeux s’éteignirent, et après un grand effort qui amena à ses lèvres une bave sanglante, sa tête se renversa en arrière et elle ne bougea plus.

— Serait-ce fini ! murmura Mme Blanche.