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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/196

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portait de vagues paroles d’encouragement, et il n’entendit bientôt plus que les hurlements encore lointains de la rafale et le frappement lugubre des vagues sur les planches tremblantes du canot.

Quelque repu que soit un requin, il est bien rare que sa voracité naturelle s’apaise jamais, et quand l’Indien, qui n’avait pas oublié son ancien métier de plongeur, revint sur l’eau ; quand, son couteau entre les dents, il eut jeté à son compagnon d’infortune les mots d’encouragement dont la brise n’avait apporté à ce dernier que des fragments épars, le Zapotèque regarda autour de lui.

Ce n’était point peur, c’était prudence.

Deux de ces tigres de l’Océan, plus redoutables mille fois que ceux que nourrissent les savanes, nageaient dans le même sens que lui, l’un à droite, l’autre à gauche, à une distance d’environ vingt pieds. Quelque terrible que fût un pareil voisinage, l’habitude qu’il en avait contractée sur les bancs de perles, son imperturbable croyance au fatalisme, la préoccupation, en outre, que devait naturellement lui causer la crainte de ne pas retrouver les baleinières, tous ces motifs réunis empêchaient l’Indien de porter une bien grande attention à ces dangereux compagnons de voyage.

Costal, toutefois, par prudence et non par crainte, nous le répétons, tournait la tête de temps à autre pour s’assurer de la position de ses deux ennemis, et chaque fois leurs ailerons lui semblaient plus rapprochés.

Puis aussi, tout en fendant l’eau d’une coupe rapide et vigoureuse, le nageur essayait de percer à travers l’obscurité pour découvrir l’objet auquel sa vie était attachée ; mais partout ses yeux ne voyaient qu’un horizon sombre, vide, et que bornait à peu de distance la crête écumeuse des lames.

Un coup d’œil jeté de côté lui fit bientôt apercevoir les deux ailerons sinistres toujours se rapprochant de