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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/265

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silence des morts, ces chants mélancoliques des assiégés, cette compagnie de cadavres étranges lui rendaient le temps bien long, et il tourna le visage vers le camp où il regrettait sa tente ; puis il reprit sa promenade.

Cette fois il faisait si exactement le même nombre de pas, que la distance entre l’Indien et lui se conserva constamment la même jusqu’au moment où il s’aperçut que le cadavre un instant suspect avait disparu.

Le premier moment de terreur passé, la sentinelle espagnole comprit qu’il avait été dupe d’une ruse indienne, et, pour ne pas se laisser accuser de négligence, il s’abstint prudemment de donner l’alarme et laissa l’Indien bien vivant courir à son but.

Pour expliquer la méprise du soldat entretenue par l’absence des oreilles du cadavre vivant, il est nécessaire de dire qu’avant de venir mettre le siège devant Huajapam, le commandant Regules s’était donné la triste satisfaction d’essoriller près de Yanguitlan une vingtaine de pauvres Indiens faits prisonniers. Nous rappelons à dessein ce vieux mot pour flétrir l’usage, tombé en désuétude comme lui, de couper les oreilles aux prisonniers. Ceux d’entre eux à qui on ne les avait pas tranchées de trop près, car plusieurs étaient morts d’une hémorragie, s’étaient réfugiés à Huajapam.

L’Indien était un de ces derniers, et il ne lui avait coûté, pour donner à la cicatrice l’aspect d’une blessure fraîche, que la peine de la teindre du sang de l’un des cadavres voisins.

C’était à cet exploit du commandant Regules qu’avait fait allusion son collègue Caldelas dans la séance du conseil de guerre que nous avons rapportée.

« Mil rayos ! s’écria le soldat espagnol dans un accès de rage, dans le cas où ces chiens-là ne soient pas plus morts que celui qui court si bien, ils ne courront plus. »

En disant ces mots, la fureur l’emportant sur l’espèce de terreur religieuse à laquelle l’Indien avait dû la vie,