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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/58

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— Ils vous éviteront cette peine en se jetant sur vous ; car d’ici à un quart d’heure, sans doute, nous allons les avoir tous les quatre sur les bras.

— Tous les quatre ! s’écria le nègre en tressaillant si violemment qu’il imprima à la frêle embarcation un mouvement d’oscillation assez fort pour la faire chavirer.

— Sans doute, repartit Costal en se penchant vivement pour faire contre-poids. C’est là mon idée, comme la seule manière d’abréger les longueurs de la chasse. Que voulez-vous ? Quand le temps presse, on fait de son mieux. Ainsi que je vous le disais lorsque vous m’avez interrompu, il y a deux jaguars, l’un à gauche l’autre à droite. Or, ces animaux voulant se rejoindre, leur voix l’indique, si nous nous mettons entre deux, il est évident qu’ils fondent à la fois sur nous. Je vous défie de me prouver le contraire. »

À dire vrai, Clara n’y songeait guère ; une conviction profonde de l’infaillibilité de la prédiction de Costal lui faisait garder un silence complet.

« Attention ! Clara, dit ce dernier, nous allons doubler cette pointe dont les arbres nous cachent la vue de la plaine ; vous me direz si vous voyez l’animal que nous cherchons. »

En effet, dans la position qu’occupaient les deux compagnons dans la pirogue, le noir, assis à l’arrière, n’avait qu’à jeter les yeux devant lui, tandis qu’assis à l’avant, l’Indien était forcé de se retourner de temps à autre. Du reste, le visage du nègre était pour lui comme un miroir qui l’avertissait fidèlement de ce qu’il avait intérêt à savoir.

Jusque-là, les yeux du nègre n’avaient exprimé qu’une terreur vague, sans cause déterminée, quand, à l’instant où le canot eut franchi le dernier coude de la rivière, une angoisse profonde et subite se peignit sur tous ses traits.