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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/59

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L’Indien, mis sur ses gardes, retourna vivement la tête. Une plaine immense, au milieu de laquelle la rivière coulait à pleins bords entre deux rives dégarnies d’arbres, s’étendait à droite et à gauche, sans qu’aucun objet empêchât la vue de plonger dans un horizon illimité. Bien loin des deux chasseurs, la rivière se repliait presque sur elle-même, formant un delta verdoyant à la pointe duquel passait le chemin qui conduisait, à l’hacienda de las Palmas.

Les rayons du couchant emplissaient tout, le paysage d’une brume dorée ; le bras de la rivière que remontaient l’Indien et le nègre roulait des eaux teintes de pourpre et d’or, et à deux portée de carabines environ, au milieu de ce brouillard lumineux, sur ces eaux radieuses, un objet étrange apparut aux yeux ravis de Costal.

« Voyez Clara, dit-il en remettant les avirons aux mains du noir, tandis qu’il, s’agenouillait sur le fond de la pirogue, sa carabine à la main, jamais vos yeux ont-ils contemplé un plus noble spectacle ?

Clara prit machinalement les avirons et ne répondit rien ; les yeux dilatés, la bouche entr’ouverte, il était muet à l’aspect du tableau qui frappait ses regards et semblait fasciné comme l’oiseau par le serpent à sonnettes.

Cramponné sur le cadavre flottant d’un buffle, qu’il dévorait, l’un des jaguars, celui dont la voix avait averti sa femelle, se laissait emporter doucement au cours de l’eau. La tête allongée, arc-bouté par les pattes de devant, celles de derrière repliées sous son ventre et le dos renflé en une ondulation à la fois puissante et souple, l’animal roi des plaines d’Amérique laissait miroiter aux derniers rayons du soleil sa robe d’un fauve vif, constellée de ses taches noirâtres.

C’était une des plus belles scènes sauvages que les savanes déroulent journellement aux yeux du chasseur et