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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/60

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de l’Indien, un magnifique épisode du poëme éternel que le désert chante à leurs oreilles.

Un râlement profond, que termina un éclat de voix semblable aux sons les plus puissants de l’ophicléide, s’échappa de la poitrine du jaguar et glissa sur la surface des eaux jusqu’aux deux navigateurs. Il avait aperçu ses ennemis et les défiait. Costal y répondit par un cri de défi, comme le limier qui vient d’entendre la trompe de chasse jeter ses fanfares à l’écho des bois.

« C’est le mâle, dit-il d’une voix frémissante.

— Tirez-le donc ! s’écria le nègre en retrouvant la parole.

— Le tirer ! répondit Costal ; ma carabine ne porte pas si loin et je ne suis adroit qu’à bout portant ; et la femelle, que je ne pourrais plus joindre ! tandis qu’en attendant une minute, vous allez la voir bondir de notre côté, escortée de ses deux cachorros.

Dios me ampare[1] ! » murmura le nègre, épouvanté du plan de Costal, qui se réalisait en partie, car un hurlement lointain ne fit que précéder d’une seconde l’apparition de l’autre jaguar à l’extrémité de la savane. Quelques bonds, faits par la femelle avec une superbe aisance, la transportèrent, à deux cents pas de la rive et de la pirogue.

Là elle s’arrêta, le nez au vent, humant l’air, les jarrets vibrants comme une flèche qui frémit encore après avoir frappé le but, tandis que ses deux petits venaient se grouper à ses côtés.

Cependant le canot, privé de ses avirons, dérivait tout doucement et commençait à tournoyer, gardant toujours ainsi la même distance avec le tigre accroupi sur le cadavre du buffle à moitié enfoncé dans l’eau.

« De par tous les diables ! s’écria l’Indien impatienté, maintenez donc la pirogue au fil de la rivière ; autrement

  1. Que Dieu me protége !