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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/72

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Sur un geste de son compagnon, le nègre disposa, sur la plate-forme de l’un des rochers éboulés dans le lit de la rivière, une provision de branches sèches ramassées sur l’un des bords, et ils ne tardèrent pas à y mettre le feu.

Bientôt une lueur éclatante empourpra l’eau qui coulait autour des rochers et lança des reflets rouges dont se teignit aussi la blanche écume de la cataracte.

Pendant que le nègre restait immobile à contempler les lueurs du brasier qui scintillait sur l’eau, le Zapotèque ôta son chapeau de jonc dénoua les tresses de sa chevelure et se dépouilla de l’espèce de sayon dont sa poitrine et ses épaules étaient couvertes. Des flots de cheveux, noirs comme l’aile du corbeau dont il prétendait devoir atteindre la longévité, se répandirent sur son corps musculeux et bronzé et voilèrent en partie sa figure.

L’officier vit alors, pour la première fois, que l’Indien soufflait dans une trompe marine, dont les sons rauques et saccadés imitaient ceux que le jaguar fait entendre quand il a faim ou soif.

Lorsqu’il crut avoir suffisamment éveillé l’esprit de la cataracte, dont la réponse semblait se transmettre par la voix des échos qui répétaient cette lugubre et bruyante harmonie, l’Indien, passa sa conque en bandoulière et commença, autour du rocher sur lequel continuait à brûler le brasier, une sorte de danse sauvage au milieu des eaux basses de la rivière, que ses jambes fouettaient avec force.

À mesure que l’obscurité crépusculaire s’épaississait, la scène devenait plus bizarre ; l’Indien continuait à s’agiter frénétiquement, tandis que le nègre restait immobile comme une statue. Les lueurs du foyer reflétaient sur eux d’étranges teintes. La cataracte semblait rouler des flots de feu. C’était une scène bizarre et imposante tout à la fois.