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Page:Gabriel Ferry - Costal l'Indien, 1875.djvu/75

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Pour être prêt à tout événement, don Rafael déboucla les courroies du mousqueton suspendu à ses arçons et continua sa recherche. Une pente douce, telle qu’il la désirait, ne tarda pas à se présenter à lui. Alors, sans s’inquiéter si la rivière était profonde ou non, il se mit en selle et poussa son cheval, qui, moitié à gué, moitié à la nage, eut bientôt gagné l’autre rive, tandis que le cavalier, les genoux relevés, tenait son mousqueton au-dessus de sa tête pour éviter de le mouiller.

Décidé à guetter pendant quelque temps encore la présence des deux seuls êtres vivants qu’il eût aperçus dans ces solitudes depuis sa séparation d’avec l’étudiant, le dragon redescendit le cours de l’eau le mieux qu’il put jusqu’à la cascade.

Là, pour moins risquer d’échapper aux yeux de ceux qu’il cherchait à rencontrer, il battit le briquet, alluma un cigare, et, immobile comme une statue équestre entre deux des arbres qui inclinaient leurs branches sur la rivière, il attendit la venue du nègre et de l’Indien.

La lune jetait sur les roseaux, parmi les fourrés épais, ses lueurs blanches, dont s’argentait la surface des eaux et la courbe écumante de la cascade. Ces lueurs, brisées par le réseau serré des branchages, prêtaient un mystérieux aspect à cette solitude que la cataracte emplissait de son bruit de tonnerre, et parfois le souvenir des scènes étranges qui venaient de frapper ses yeux au fond du ravin, mêlé aux accents inconnus à son oreille et dont il croyait entendre encore le retentissement lugubre, faisait éprouver à l’officier un frémissement involontaire. Parfois aussi le dragon sentait son cheval frissonner sous la selle, et il ne pouvait s’empêcher de croire qu’il venait d’assister à quelque évocation du prince des ténèbres, dont ces notes funèbres étaient la voix.

Don Rafael était créole, élevé par conséquent dans l’ignorance et la superstition ; il se rappelait avoir ouï dire