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Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/100

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gouverneur vint visiter le bourg. La fanfare était rangée sur l’embarcadère de la station du chemin de fer ; le train du gouverneur stoppa en gare ; la fanfare, les lèvres aux embouchures, attendait le signal pour y aller de la Brabançonne. Le chef, avant de lever son bâton, cria d’une voix forte : « En sol, messieurs : sol, mi, fa, sol ! », et la fanfare partit sur les notes indiquées, dans la tonalité de do, la seule tonalité, d’ailleurs, dans laquelle elle eût appris jouer la Brabançonne.

Cet accident pesa de tout son poids sur le malheureux chef ; le sobriquet s’attacha à lui ; il suffisait qu’on prononçât : « En-Sol-Messieurs », pour qu’aussitôt l’histoire mémorable fût racontée. Même, on ne savait plus bien son nom d’état civil : En-Sol-Messieurs il était, En-Sol-Messieurs il devait rester jusqu’à la fin de ses jours. Le « beau bel homme » était devenu le type du malchanceux de talent, le « soukeleer » de la musique.

Tout en parlant, Odon, enfin maître de lui-même, étudiait Jane qui l’encourageait d’un sourire, de l’air de dire qu’elle le trouvait moins bête : la lumière du gaz tirait de la soie vivante de sa chevelure ondulée, massée sur les oreilles, des rayons noirs-bleus, délicats et frissonnants. Et il se sentait un picotement au cœur à l’idée qu’André avait le droit de dénouer ces