Aller au contenu

Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/145

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps, j’avais pris le parti de me tuer moi-même ; ce que j’aurais sérieusement exécuté, si le désir d’essayer votre calèche ne m’eût rattachée à la vie.

― Beaucoup de gens que je connais se sont donné pour vivre de moins bonnes raisons que celle-là. ― Un de mes amis, qui avait déjà fourré mignonnement la gueule de son pistolet dans sa bouche, se ressouvint fort à propos qu’il avait oublié de se faire une épitaphe. Cette idée de ne pas avoir d’épitaphe le contraria sensiblement ; il déposa son pistolet sur la table, prit une feuille de papier et écrivit les vers suivants :


Des cruautés du sort la volonté triomphe ;
Le plus faible mortel peut vaincre le destin.
Quand on a du courage et que…


Ici notre malheureux ami s’arrêta faute de rime ; il se gratta le front, se mordit les ongles, mais vainement ; il sonna son domestique, se fit apporter un dictionnaire de rimes qu’il feuilleta d’un bout à l’autre sans trouver ce qu’il lui fallait, car triomphe n’a pas de rime ; de Marcilly entra par hasard et l’emmena au jeu, où il gagna cent mille francs, ce qui le remit à flot. Depuis ce temps, il vit en joie et ne baise plus le canon de ses pistolets. Cette histoire, très véridique, prouve l’utilité des rimes difficiles en matière d’épitaphe.

― Ah ! Fortunio, que vous êtes cruellement