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Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/146

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persifleur ! dit Musidora avec un léger accent de reproche ! Croyez-vous donc que ce ne soit pas une excellente raison de mourir qu’un amour dédaigné ? »

Fortunio fixa sur elle ses prunelles limpidement bleues avec une expression de douceur infinie ; — puis, par un brusque mouvement, il s’élança de sa natte sur le divan, et, passant un de ses bras derrière elle, il fit ployer jusqu’à lui sa taille souple et mince.

« Eh ! qui vous a dit, enfant, que votre amour fût dédaigné ?… »

… Un râle effroyable, enroué et guttural, se fit entendre à peu de distance de la chambre.

Musidora se dressa toute épouvantée.

« C’est ma tigresse qui me sent et qui voudrait me voir. Cette diable de bête aura rompu sa chaîne ; elle n’en fait jamais d’autres ; ― excusez-moi, madame, je vais l’attacher plus solidement et lui parler un peu pour la calmer ; elle est jalouse de moi comme une femme. »

Fortunio prit un kriss malais caché sous un coussin et sortit. Musidora l’entendit qui jouait avec la tigresse dans le corridor ; Fortunio parlait dans une langue inconnue que la tigresse semblait comprendre et à laquelle elle répondait par de petits mugissements ; ― les battements joyeux de sa queue résonnaient sur le mur comme des coups de fléau. Au bout de quelques minutes, le bruit s’éteignit, et Fortunio revint.