Aller au contenu

Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
LES BOUTIQUES.

Rien n’est plus étrange que ce nez auquel se visse un glaive, et cela compose une étrange physionomie de poisson. — Quand je traversai la poissonnerie, il y avait précisément, sur quatre étaux se faisant face, quatre narvals énormes qui brandissaient formidablement leurs espadons et semblaient des raffinés de mer se provoquant en duel. Sneyders aurait tiré un grand parti de ce motif.

Ce qui frappe l’étranger à Constantinople, c’est l’absence de femmes dans les boutiques, il n’y a que des marchands et pas de marchandes. La jalousie musulmane s’accommoderait peu des rapports que le commerce nécessite ; aussi en a-t-elle écarté soigneusement un sexe auquel elle accorde peu de confiance. Beaucoup de petits détails de ménage, laissés chez nous aux femmes, sont remplis, en Turquie, par des gaillards athlétiques, aux biceps renflés, à la barbe crépue, au large col de taureau, ce qui nous paraît assez justement ridicule.

Si les femmes ne vendent pas, en revanche elles achètent ; on les voit stationner devant les boutiques par groupes de deux ou trois, suivies de leurs négresses, qui tiennent un sac ouvert, et à qui elles passent leurs acquisitions, comme Judith tendait la tête d’Holopherne à sa servante noire. Le marchandage paraît amuser les Turques autant que les Anglaises ; c’est un moyen comme un autre de passer le temps et d’échanger des paroles avec un être humain autre que le maître, et il est peu de femmes qui se refusent ce plaisir, surtout les femmes de la classe bourgeoise, car les cadines se font apporter les étoffes et les marchandises chez elles.