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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/160

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CONSTANTINOPLE.

L’opération faite, le pénitent retourna à sa place et continua son dodelinement frénétique. Rien n’était plus bizarre que cette tête à la broche ; on eût dit une de ces charges de pantomime où Arlequin passe sa batte à travers le corps de Pierrot ; — seulement ici la charge était réelle.

Deux autres fanatiques se lancèrent au milieu de la salle, nus jusqu’à la ceinture ; on leur remit deux de ces dards aigus terminés par un cœur de plomb et des chaînettes de fer, et, les brandissant de chaque main, ils se mirent à exécuter une sorte de danse des poignards désordonnée, violente, pleine de soubresauts imprévus et de cabrioles galvaniques. Seulement, au lieu d’éviter les pointes des dards, ils se précipitaient dessus avec fureur afin de se piquer et de se blesser ; ils roulèrent bientôt à terre, épuisés, pantelants, ruisselants de sang, de sueur et d’écume comme des chevaux labourés par l’éperon et tombant de fatigue près du but.

Une jolie petite fille de sept ou huit ans, pâle comme la Mignon de Goethe, et roulant des yeux d’un noir nostalgique, qui s’était tenue près de la porte pendant toute la cérémonie, s’avança toute seule vers l’iman. Le vieillard l’accueillit d’une façon amicale et paternelle. La petite fille s’étendit sur une peau de mouton déroulée à terre, et l’iman, les pieds chaussés de larges babouches et soutenus par ses deux assistants, monta sur ce frêle corps et s’y tint debout pendant quelques secondes. Puis il descendit de ce piédestal vivant, et la petite fille se releva toute joyeuse.

Des femmes apportèrent de petits enfants de trois ou quatre ans qui furent couchés successivement sur la peau de mouton et délicatement foulés aux pieds par l’iman. Les uns prenaient bien la chose, les autres criaient comme des geais plumés vifs. On voyait les yeux leur sortir de la tête, et leurs petites côtes ployer sous cette pression énorme pour eux ;