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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/166

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CONSTANTINOPLE.

sibles, ne recouvrait lentement les débris des tombes brisées, un statisticien patient pourrait, en additionnant ces colonnes funèbres, obtenir le chiffre de la population de Constantinople, à compter de 1453, date de la chute de l’empire grec. Sans l’intervention de la nature, qui tend partout à reprendre ses formes primitives, l’empire turc ne serait bientôt plus qu’un vaste cimetière d’où les morts chasseraient les vivants.

Je suivis d’abord la grande allée, bordée de deux immenses rideaux d’un vert sombre de l’effet le plus féeriquement funèbre ; des marbriers, tranquillement accroupis, sculptaient des tombeaux sur le bord du chemin ; des arabas passaient remplis de femmes se rendant à Hyder-Pacha ; des filles de joie musulmanes, aux sourcils rejoints par un trait d’encre de Chine, et dont le fard transparaissait sous un yachmack de mousseline claire, flânaient, agaçant des Jean-Jean turcs d’œillades lascives et de rires sonores. Bientôt je quittai la route battue, et, laissant mes compagnons, je me dirigeai au hasard à travers tombes pour étudier de près l’attitude orientale de la mort. J’ai déjà dit, à propos du Petit-Champ de Péra, que les tombeaux turcs se composent d’une espèce de terme de marbre terminé par une boule simulant vaguement un visage humain et coiffé d’un turban dont les plis et la forme indiquent la qualité du défunt, — maintenant le turban est remplacé par un fez colorié ; — une pierre ornée d’une tige de lotus ou d’un cep de vigne, avec pampres et grappes sculptés en relief et peints, désigne les femmes. Au pied de ce cippe, qui ne varie guère que par le plus ou moins de richesse de la dorure et des couleurs, s’allonge ordinairement une dalle creusée à son milieu d’un petit bassin de quelques pouces de profondeur où les parents et les amis du mort déposent des fleurs et versent du lait ou des parfums.