Aller au contenu

Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
306
CONSTANTINOPLE.

s’exerçaient à lancer le djerid sur cette place, turf tout préparé pour les divertissements équestres ; la réforme et l’introduction de la tactique européenne ont fait abandonner ce jeu du javelot, qui convient mieux aux libres cavaliers du désert et des steppes de l’Asie qu’aux régiments de cavalerie régulière instruits d’après les méthodes de l’école de Saumur.

Au bout de l’Atmeïdan se trouve l’Et-Meïdan (marché aux viandes). C’est un lieu redoutable et sinistre, malgré le soleil qui l’inonde de ses gais rayons. Si vous regardez cette mosquée à demi écroulée, ces murs qui ont conservé les cicatrices du feu, vous y apercevrez facilement encore la trace des boulets. — Cette terre, aujourd’hui blanche et pulvérulente, a été profondément rougie de sang. — C’est dans l’Et-Meïdan qu’eut lieu ce massacre des janissaires dont Champmartin envoya au Salon le tableau si farouchement romantique ; — la grande tuerie eut un cadre digne d’elle.

Le sultan Mahmoud, sentant avec l’instinct du génie l’empire pencher vers la ruine, crut qu’il le sauverait en lui donnant des armes égales à celles des royaumes chrétiens, et il voulut faire instruire ses troupes par des officiers égyptiens dressés à la tactique européenne. Cette réforme si simple et si juste souleva des répugnances insurmontables parmi les janissaires ; les moustaches grises se hérissèrent d’indignation ; les fanatiques crièrent à la profanation, invoquèrent Allah et Mahomet, et peu s’en fallut que le commandeur des croyants ne passât pour un giaour à cause de son entêtement à introduire ces manœuvres diaboliques dont Mahomet II ni Soliman Ier n’avaient eu besoin pour faire des conquêtes et les garder.

Heureusement Mahmoud était un homme de résolution qu’on n’intimidait pas facilement, il avait résolu de vaincre