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Page:Gautier - Constantinople, Fasquelle, 1899.djvu/324

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CONSTANTINOPLE.

calèche de Clochez. Paris et Vienne envoient les chefs-d’œuvre de leur carrosserie à Constantinople, d’où disparaîtront bientôt tout à fait les talikas aux caisses peinturlurées et dorées, les arabas caractéristiques traînés par de grands bœufs gris. — Décidément, la couleur locale s’en va du monde.

Le reste du Musée est fourni par le corps des janissaires, qui se retrouve là tout entier, comme si sultan Mahmoud ne l’avait pas fait mitrailler sur la place de l’Et-Meidan. Il y a des échantillons de chaque variété. Mais peut-être, avant de décrire les costumes des janissaires, ne serait-il pas hors de propos de donner une idée de leur organisation.

Les yenitcheri (nouvelle troupe) furent institués par Amurat IV, dans le but de s’entourer d’un corps d’élite, d’une garde spéciale, sur le dévouement de laquelle il pût compter ; le premier noyau fut fait de ses esclaves, et, plus tard, se grossit de prisonniers de guerre et de recrues. — De ce nom de yenitcheri, les Européens, peu familiers avec les intonations des langues orientales, ont fait janissaires, qui a le défaut d’impliquer une autre racine et semble vouloir dire gardiens de la porte.

L’orta (corps) des yenitcheri était divisée en odas (chambrées), et les différents officiers prenaient des titres culinaires risibles au premier abord, mais cependant explicables. Le faiseur de soupe (tchorbadji), le cuisinier (achasi), le marmiton (karacoulloukdji), le porteur d’eau (sakka), semblent de singuliers grades militaires. Pour concorder avec cette hiérarchie culinaire, chaque oda, outre son étendard, avait pour enseigne une marmite chiffrée au numéro du régiment. Dans les jours de révolte, on renversait ces marmites, et le sultan pâlissait au fond de son sérail ; car les yenitcheri ne se contentaient pas toujours de quelques têtes, et la révolte se tournait parfois en révolution. Jouissant d’une haute paye, mieux nourris, forts des priviléges concédés et extorqués,