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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/235

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

fortune, puisque chacun est électeur et éligible. L’égalité de droits et de devoirs devant la loi efface dans la société prise au point de vue abstrait jusqu’aux dernières lignes de démarcation. Sous la République les hommes sont égaux, libres et frères ; mais il ne s’ensuit pas de là qu’ils doivent porter des bonnets phrygiens, se proclamer sans-culottes et se couper réciproquement la tête, à l’instar de 93.

Grâce à la détestable éducation universitaire que nous recevons, on s’est toujours formé en France, d’après le De viris illustribus et le Selectæ e profanis, un idéal de république farouche, pauvre et mal nourrie. Le brouet noir de Lacédemone et les légumes de Cincinnatus ont été proposés à l’admiration de la jeunesse par des maîtres de pension qui avaient leurs raisons pour cela. Les mauvaises études classiques sont pour beaucoup dans le coté odieux de la première Révolution. Si les démagogues d’alors avaient été un peu plus instruits, ils auraient modéré leur enthousiasme à l’endroit du Brutus de Tarquin et du Brutus de César, tous deux patriciens et aristocrates, et de Sparte, ville libre, que servaient deux cent mille Ilotes, plus maltraités que des nègres.

Laissons donc en arrière ces déplorables imitations, ces sanglants archaïsmes, et tâchons de faire une République entièrement nouvelle ; le pire plagiat est celui de l’échafaud et de la misère.