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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/260

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À PROPOS DE BALLONS.

et le vaisseau aérien s’éleva majestueusement, avec un mouvement doux et puissant d’une majesté infinie. Autant la locomotive a l’air infernal, autant le ballon a l’air céleste, tout jeu de mots à part : l’une emprunte ses moyens au fer et au charbon, au feu et à l’eau bouillante, l’autre n’emploie que du taffetas et du gaz, une mince étoffe remplie d’un souffle léger ; la locomotive avec des glapissements affreux, des râles stridents et de noirs jets de fumée, court sur des tringles inflexibles, s’enfonce dans les ténèbres des tunnels et semble aller retrouver le diable qui l’a inventée ; le ballon, sans tapage et sans effort, quitte la terre où les lois de la gravité nous retiennent, et remonte tranquillement vers Dieu. Malheureusement, comme l’inspiration, le ballon va où le vent le pousse, ainsi que chacun le sait, spiritus flat ubi vult, et la locomotive comme la prose va droit son chemin.

Green et son ballon dominaient déjà Paris et tout son horizon ; de longues fusées de sable, lest qu’il rejetait pour s’élever plus haut, rayaient le ciel de leurs traînées blanches et, par le temps qu’elles mettaient à descendre, prouvaient la hauteur où l’intrépide aéronaute était parvenu en quelques minutes. Il avait disparu que la foule cherchait encore à le discerner dans les profondeurs azurées de l’atmosphère. Que de là-haut, l’arc de l’Étoile et la ville géante avec ses noires fourmis devaient, illuminés par le soleil du