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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/286

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THÉOPHILE DE VIAU.

travail les intermittences de l’inspiration. Par malheur pour lui, il ne possède pas l’autre moitié du génie, – la patience.

Bien qu’on trouve chez lui beaucoup de morceaux remarquables, Théophile n’est pas un pur tempérament poétique. C’est un philosophe, un libre-penseur ; il a une doctrine, il aimé à raisonner encore plus qu’à peindre, et dans ses ouvrages l’idée ne s’habille pas toujours avec le vêtement de l’image. Il se contente souvent de l’exprimer avec une netteté qui devient prosaïque ; – cela ne suffit pas en vers. Ses odes, plus tendues et d’un essor plus élevé, n’ont pas ce défaut mais il est sensible en beaucoup de pièces, élégies, discours, dont la forme se rapproche de l’épître. La phrase est bien conduite, la période se déroule sans embarras, le raisonnement se suit avec logique, l’esprit étincelle par places, mais les touches colorées, qui ravivent les nuances un peu grisés du fond, sont données trop sobrement ; – on désirerait çà et là quelque coup d’aile qui enlevât de terre ce sermon pédestre. La chose s’explique naturellement par ceci : – chez Théophile, le poète contenait un excellent prosateur qui, si sa vie eût été plus longue, eût peut-être fini par prédominer. Les Fragments d’une histoire comique en sont une preuve irrécusable. On n’écrivait guère alors, en prose, de cette façon ferme, aisée et franche. Chose bizarre ; le mauvais goût reproché aux vers de