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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/297

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

s’ils ont un œil pour la fille, en ont un autre plus tendre encore pour la bouteille. Cette santé fleurie de l’homme se retrouve dans le poète. Son vers plein, robuste, sonore, aviné parfois, s’empourpre comme la joue du buveur. Il est transparent, mais d’une transparence de rubis et non d’eau claire.

Attaché au maréchal d’Harcourt, qui, parmi la bande joyeuse dont il s’accompagnait volontiers, portait le nom de guerre de Cadet la Perle, Saint-Amant voyagea beaucoup, pratiqua le monde, et sa vie de débauche, celle de tous les seigneurs à cette époque, le mit en contact avec les hommes et les choses ; la vie de cabinet, où parmi les paperasses poudreuses les littérateurs ordinaires s’atrophient et ne perçoivent la réalité qu’à travers les livres, lui fut pour ainsi dire inconnue, quoique son bagage poétique soit assez pesant.

Comme ses courses sur terre et sur mer avaient mis à sa disposition un grand nombre d’images, comme il possédait un vocabulaire immense et le plus riche dictionnaire de rimes que jamais poète ait eu dans la cervelle, il travaillait avec une grande facilité à travers des dissipations qui eussent distrait tout autre. Saint-Amant appartenait d’ailleurs à ces esprits dont la verve a besoin de s’allumer d’un excitant physique ; chez ces natures, le vin est un philtre merveilleux ; le généreux sang de la vigne semble se mêler au sang de leurs veines et y faire circuler