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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/298

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SAINT-AMANT.

avec sa chaleur la flamme de l’inspiration. Un homme intérieur auquel l’autre sert d’enveloppe, ranimé par le puissant breuvage, sort du sommeil et prononce au hasard des paroles magiques ; les idées après avoir battu un moment les vitres de leurs ailes empourprées, viennent se ranger d’elles-mêmes dans la cage de la stance ; les rimes, ces fermoirs parfois si difficiles à joindre, s’agrafent toutes seules en rendant un son clair, les mots vibrent et flamboient, harmonies et rayons, et l’œuvre presque inconsciente se trouve achevée avec une perfection dont l’auteur à jeun serait incapable. Mais il ne suffit pas de boire pour atteindre ce résultat, et les sommeliers n’apportent pas toujours la poésie en bouteille. Un sonnet ne se verse pas comme une rasade. C’est un don fatal comme tous les dons que cette inspiration dans l’ivresse ; Hoffmann et Edgar Poe en sont morts, et si Saint-Amant y a résisté, c’est que les estomacs du xviie siècle étaient plus robustes et qu’il ne buvait que du vin ![1]

[Saint-Amant, quoiqu’il ait été un des desservants du culte pantagruélique de la dive bouteille, n’était cependant pas un ivrogne vulgaire, un chansonnier de refrains à boire, et s’il a, en compagnie de son ami Garet, charbonné souvent de ses vers les murs des tavernes, il était capable d’autre chose. L’époque

  1. Le paragraphe suivant, imprimé entre crochets, est inédit.