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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/310

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CHARLES BAUDELAIRE.

n’est pour ainsi dire qu’un accident heureux. Sa muse n’a pas vagi, à peine sevrée, de puériles cantilènes et des chansons de nourrice. Quoique jeune, il a débuté dans toute sa force et sa maturité. Les Fleurs du mal n’ont guère que cinq ou six ans de date. Ce titre significatif montre que l’auteur ne s’est pas amusé à cueillir des vergiss-mein-nicht au bord des sources et à faire de banales variations sur ces vieux thèmes de l’amour et du printemps. Sa poésie n’a rien de naïf ni d’enfantin. Elle part d’un esprit très cultivé, très subtil, très bizarre, très paradoxal, et dont nous ne connaissons pas l’analogue.

Il est dans chaque littérature des époques où la langue formée à point se prête à merveille, après les balbutiements de la barbarie, à l’expression limpide et facile des idées générales, des grands lieux communs sur Dieu, l’âme, l’humanité, la nature, l’amour, la vie, la mort, tout ce qui fait le fond même de la pensée humaine. Rien n’est usé alors, ni les sentiments, ni les mots. Toute métaphore semble nouvelle, aucune comparaison n’est fanée encore ; les rapprochements les plus directs étonnent par leur hardiesse. On ne prend des choses que le trait le plus caractéristique et le plus général. L’analyse sommaire des passions simples suffit aux générations vierges. Cette période, aimable comme la jeunesse ; où la vie ne s’est pas encore compliquée de rapports multiples et garde son unité primitive, passe pour l’é-