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Page:Gautier - Fusains et eaux-fortes.djvu/313

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FUSAINS ET EAUX-FORTES.

la passion, parce qu’il les trouve trop humaines, trop naturelles, pas assez spiritualisées, et d’ailes trop courtes pour planer dans la sphère sereine de l’art. L’émotion comme il l’entend doit être purement intellectuelle, et la provoquer par ces moyens grossiers lui répugne à l’égal d’une indélicatesse. Aussi ces accusations l’étonnent-elles autant que si l’on vantait l’honnêteté de la rose en tonnant contre la scélératesse de la jusquiame. En art, il n’y a rien de moral ni d’immoral, il y a le beau et le laid, des choses bien faites et des choses mal faites.

On lit dans les contes de Nathaniel Hawthorne la description d’un jardin singulier, où un botaniste toxicologue a réuni la flore des plantes vénéneuses. Ces plantes aux feuillages bizarrement découpés, d’un vert noir ou minéralement glauque, comme si le sulfate de cuivre les teignait, ont une beauté sinistre et formidable. On les sent dangereuses malgré leur charme ; elles ont dans leur attitude hautaine, provocante ou perfide, la conscience d’un pouvoir immense ou d’une séduction irrésistible. De leurs fleurs férocement bariolées et tigrées, d’un pourpre semblable à du sang figé ou d’un blanc chlorotique, s’exhalent des parfums âcres, pénétrants, vertigineux ; dans leurs calices empoisonnés la rosée se change en aqua-tofana, et il ne voltige autour d’elles que des cantharides cuirassées d’or vert, ou des mouches d’un bleu d’acier dont la piqûre donne le